La langue française au
Saguenay-Lac-Saint-Jean est-elle vraiment menacée? D'aucuns s'inquiètent d'une
dérive du français chez les jeunes Saguenéens. Fun Fly, WonderLan, Dampf,
Ultimate Challenge: des activités de divertissement à connotation anglophone
racoleuses auprès des jeunes. Des activités qui viennent nous visiter
périodiquement et qui tels des virus pourraient envahir insidieusement un corps
saguenéen en pleine croissance. Ce corps qui, jusqu'ici, a su bien résister aux
assauts de l'anglicisation.
Notre région est la plus francophone d'Amérique du Nord où plus de 98 %
de sa population parle le français. Si bien que chaque année, un important
contingent d'anglophones du "Rest of Canada" et d'ailleurs vient chez
nous pour suivre des classes d'immersion en français.
La compilation 2014 de l'Observatoire de la langue française suscite
l'optimisme: il y a 274 millions de francophones au total dans le monde, c'est
50 millions de plus qu'en 2010. Le français est la deuxième langue enseignée dans
le monde, la troisième langue des affaires, la quatrième sur internet et la
cinquième au niveau international.
Également rafraîchissante, la vision du corps enseignant de l'École
Apostolique de Chicoutimi. Cette école s'est dotée, cet automne, d'une classe
de 6e année enrichie. Mais attention, une 6e enrichie non
d'anglais, mais de français et de maths, entre autres matières, pour favoriser
une meilleure transition du primaire vers le secondaire.
Faut-il craindre que l'anglicisation chez les jeunes de la région
prenne des proportions inquiétantes, même à long terme? La Commission scolaire
de Lac-Saint-Jean (CSLSJ) qui mène un projet pilote d'enseignement d’anglais
intensif depuis 2005, a effectué un recensement en 2011 démontrant que
seulement 10% de ses enfants francophones âgés de 10 à 14 ans sont bilingues.
Pas mieux que dans les trois autres commissions scolaires du
Saguenay-Lac-Saint-Jean où l'enseignement de l'anglais, qui n’y est pas
intensif, montre des taux variant de 7 à 11%. D'autres données provenant de
Statistique Canada démontrent que ce type de projet constitue un coup d'épée dans
l'eau parce que les chiffres recensés à Alma, où plus de 60% des élèves
fréquentent la CSLSJ, indiquent un taux de bilinguisation chez les 10-14 ans de
13% en 2001, de 10% en 2006 et de 11% en 2011. À l'évidence, depuis 2005 que
l'enseignement de l'anglais intensif est dispensé à la CSLSJ, les résultats ne
sont pas meilleurs qu'à l'époque où l'anglais régulier y était enseigné. Pourquoi?
L'organisme britannique "National Foundation for Educational
Research" fournit un élément de réponse. Après avoir comparé avec un
groupe-témoin des dizaines de milliers de jeunes Britanniques du primaire en
apprentissage intensif d’une deuxième langue, le français en l’occurrence, les
chercheurs ont conclu qu’il valait mieux en retarder l’enseignement jusqu’à un
âge où le jeune est le plus en mesure d’en apprécier le bénéfice.
Ce qu'il faut craindre, ce n'est pas l'angle de tir de l'anglicisation
par l'école ou par l'affichage en anglais d'activités de divertissement
proposés aux jeunes. À mon avis, le bât blesse davantage quant à
l'apprentissage de la langue française chez ces derniers. Il est inquiétant, en
effet, d'apprendre d'une étude fournie au printemps dernier par l'Institut de
la statistique du Québec que 18,3% des diplômés universitaires, 45% des
diplômés du Cégep et 56% des diplômés du secondaire n'ont pas les compétences
de base en français. On produit, au Québec, bon an mal an, des diplômés
incapables de lire le français et de l'écrire. Ahurissant!
Marcel Lapointe, Jonquière.